Le Natural Language Processing (NLP), ou traitement automatique du langage naturel, constitue un champ interdisciplinaire important de l’intelligence artificielle. Il vise à doter les machines de la capacité à traiter, comprendre, interpréter et générer des séquences linguistiques et à ainsi imiter les capacités cognitives humaines. Le NLP combine des éléments issus de la linguistique, de l’informatique et des statistiques pour permettre aux machines de comprendre et manipuler le langage humain avec un degré croissant de finesse.
Dans un contexte académique ou industriel, la qualité du prétraitement textuel conditionne fortement les performances des algorithmes utilisés. Avant toute tâche avancée comme l’analyse de sentiment, la classification de texte, la traduction automatique, la génération de résumé ou la génération de texte, il est indispensable de normaliser et de structurer les données textuelles. Le langage naturel étant par nature ambivalent, contextuel, et souvent bruité (fautes, abréviations, syntaxes non standard), il est essentiel de le transformer en une structure plus formelle, exploitable par les modèles d’apprentissage automatique ou profond.
Trois techniques préliminaires, mais fondamentales, structurent cette phase de prétraitement : la tokenization, le stemming et la lemmatization. Elles permettent de transformer un texte brut en une représentation formelle plus adaptée aux méthodes statistiques ou neuronales. Une bonne compréhension et application de ces techniques favorise la qualité de la modélisation, la réduction de la sparsité du vocabulaire, ainsi que l’amélioration des performances dans les différentes tâches NLP.
1. Tokenization : segmentation lexicale
La tokenization désigne le processus de découpage d’un corpus textuel en unités minimales que l’on va appeler tokens. Ces derniers peuvent correspondre à différents niveaux linguistiques : mots, sous-mots (comme dans les modèles BPE – Byte Pair Encoding ou WordPiece), ou encore caractères. Le choix de la granularité dépend du type de modèle utilisé, de la langue analysée, de la nature du corpus (données formelles ou informelles) et des objectifs de traitement (analyse syntaxique, classification, génération…).
Dans un pipeline NLP traditionnel, la tokenization constitue la première étape du processus, servant à segmenter les phrases pour faciliter leur vectorisation ou leur passage à des modèles neuronaux. Par exemple, les modèles traditionnels fondés sur Bag of Words ou TF-IDF nécessitent une représentation vectorielle basée sur les mots, tandis que les modèles neuronaux récents (comme les transformers) utilisent des sous-unités de texte pour une couverture lexicale plus fine.
Exemple : La phrase :
"Les chats dorment beaucoup."
sera transformée en :
["Les", "chats", "dorment", "beaucoup", "."]
Dans des modèles plus récents, tels que BERT ou GPT, la tokenization ne se limite pas au découpage en mots. La « subword tokenization« est souvent utilisée pour pallier les problèmes de vocabulaire fermé et de mots inconnus (OOV – Out Of Vocabulary). Ces approches permettent de représenter n’importe quel mot, même rare, nouveau ou mal orthographié, à partir d’unités plus petites et fréquentes. Cette flexibilité améliore la couverture linguistique du modèle tout en limitant la taille du vocabulaire embarqué.
En complément, la tokenization permet aussi l’alignement entre textes et annotations dans des tâches supervisées, comme la reconnaissance d’entités nommées (NER), l’étiquetage morpho-syntaxique (POS-tagging) ou l’analyse syntaxique. Le choix du tokenizer (regex simple, spaCy, NLTK, tokenizer BERT) impacte directement la qualité de ces annotations.
2. Stemming : réduction morphologique approximative
Le stemming est une technique de normalisation morphologique consistant à ramener différentes formes fléchies d’un mot à une racine commune, que l’on va appeler stem. Cette méthode repose sur des règles simples qui tronquent les suffixes, parfois sans respecter les règles linguistiques strictes. L’objectif est avant tout de regrouper les variantes d’un même mot afin de limiter la dispersion lexicale et réduire la dimensionnalité du vocabulaire, ce qui est particulièrement utile dans les systèmes de recherche d’information ou de classification.
Exemple :
- « jouer »
- « jouait »
- « jouons » →
jou
Parmi les algorithmes les plus utilisés, on retrouve le Porter Stemmer, très répandu en anglais, qui applique une série de règles conditionnelles pour supprimer les suffixes, ainsi que le Lancaster Stemmer, plus agressif, et le Snowball Stemmer, qui permet de traiter plusieurs langues.
Le stemming est rapide et simple à implémenter, et son coût computationnel est faible. Cependant, il présente des inconvénients majeurs : il peut produire des racines qui ne sont pas des mots valides, supprimer des suffixes de manière excessive, ou encore regrouper des mots différents ayant une racine similaire (ambiguïté lexicale). Cela peut entraîner des pertes de sens ou une dégradation des performances dans des tâches plus fines.
En pratique, le stemming est souvent utilisé dans des systèmes d’indexation de documents, de recherche d’information ou dans des projets nécessitant un traitement rapide de grands volumes de texte. Il constitue une solution simple et efficace pour améliorer le rappel (recall), au détriment parfois de la précision (precision).
3. Lemmatization : normalisation linguistique fondée sur les règles
Contrairement au stemming, la lemmatization repose sur une approche linguistique rigoureuse. Elle vise à ramener un mot à sa forme canonique, appelée lemme, en tenant compte de sa catégorie grammaticale (part of speech) et de son contexte syntaxique. Cette approche repose sur l’analyse morphologique et syntaxique du mot, et nécessite souvent un traitement préalable par un POS-tagger pour déterminer le rôle du mot dans la phrase.
Exemples :
- « jouait » (verbe à l’imparfait) → « jouer » (verbe à l’infinitif)
- « meilleures » (adjectif féminin pluriel) → « meilleur » (adjectif masculin singulier)
La lemmatization requiert l’utilisation de ressources lexicales comme WordNet, Lexique 3, ou des dictionnaires morpho-syntaxiques spécifiques à chaque langue. Elle est généralement implémentée dans des outils comme spaCy, TreeTagger, Stanford NLP ou Stanza, qui intègrent aussi l’analyse du contexte pour améliorer la précision.
Cette méthode est plus coûteuse en termes de calcul et de développement, mais elle est beaucoup plus précise. Elle permet d’éviter les erreurs de réduction abusives du stemming, et offre une vision plus cohérente des relations sémantiques entre les termes.
La lemmatization est particulièrement pertinente dans les systèmes de compréhension du langage, d’analyse sémantique, de génération de texte ou de traduction automatique, où la qualité linguistique est primordiale. Elle est aussi précieuse dans les projets multilingues ou les corpus complexes, où la précision morphologique et grammaticale doit être maintenue.
En combinant correctement le POS-tagging et la lemmatization, il est possible de construire des représentations sémantiques beaucoup plus fiables et d’améliorer la qualité globale du traitement linguistique dans les systèmes NLP modernes.