L’émergence spectaculaire des Grands Modèles de Langage (LLM), tels que ChatGPT, Gemini, Claude et bien d’autres, a révolutionné notre interaction avec l’intelligence artificielle. Ces systèmes, capables de comprendre et de générer du texte avec une fluidité impressionnante, ouvrent des possibilités immenses dans de nombreux domaines. Cependant, exploiter pleinement leur potentiel ne se résume pas à leur poser une simple question. La qualité, la pertinence et la précision des réponses obtenues dépendent de la manière dont nous formulons nos requêtes. C’est ici qu’intervient l’ingénierie de prompt (ou prompt engineering).
L’ingénierie de prompt peut être définie comme la pratique consistant à concevoir, développer et optimiser des instructions (les prompts) pour guider efficacement les LLM vers la réalisation d’une tâche spécifique ou la génération d’une réponse souhaitée. C’est un art et une science émergente, essentielle pour transformer ces puissants modèles en outils véritablement utiles et fiables. Que vous cherchiez à générer du code, à rédiger un texte créatif, à résumer un document complexe ou à résoudre un problème logique, la façon dont vous structurez votre prompt aura un impact direct sur le résultat.
Comprendre les fondations : grands modèles de langage et prompts
Avant de plonger dans les techniques spécifiques d’ingénierie de prompt, il est utile de saisir quelques concepts de base sur le fonctionnement des grands modèles de Langage (LLM) et la nature des prompts.
Les LLM, au cœur des IA génératives textuelles, sont des réseaux neuronaux extrêmement vastes, entraînés sur des quantités massives de données textuelles (livres, articles, sites web, code, etc.). Leur objectif principal est de prédire le mot (ou plus précisément, le token, une unité de texte comme un mot ou une partie de mot) le plus probable qui devrait suivre une séquence de texte donnée. En répétant ce processus de prédiction token par token, ils peuvent générer des phrases, des paragraphes, voire des textes entiers qui semblent cohérents et pertinents.
Le prompt est donc la séquence de texte initiale que nous fournissons au LLM pour l’amorcer. C’est notre instruction, notre question, notre point de départ. Le modèle utilise ce prompt comme contexte pour commencer son processus de prédiction séquentielle. La manière dont le prompt est formulé influence directement la trajectoire que prendra le modèle dans ses prédictions. Un prompt vague ou ambigu laissera une grande marge d’interprétation au modèle, pouvant conduire à des réponses inattendues ou non pertinentes. Inversement, un prompt précis et bien structuré guidera le modèle vers le type de réponse souhaité.
Il est essentiel de comprendre que les LLM n’ont pas de « compréhension » au sens humain du terme. Ils ne raisonnent pas, ne ressentent pas et n’ont pas d’intention propre. Ils sont des systèmes statistiques extrêmement sophistiqués qui excellent dans la reconnaissance et la reproduction de motifs présents dans les données sur lesquelles ils ont été entraînés. L’ingénierie de prompt consiste donc à exploiter cette capacité de reconnaissance de motifs en fournissant au modèle les indices les plus efficaces pour générer la sortie désirée.
Enfin, l’ingénierie de prompt est un processus itératif. Il est en effet rare d’obtenir le résultat parfait du premier coup. L’expérimentation est clé : il faut souvent tester différentes formulations, ajuster les instructions, ajouter du contexte ou des exemples, et analyser les réponses du modèle pour affiner progressivement le prompt jusqu’à obtenir le résultat escompté. Ne vous découragez pas si vos premiers essais ne sont pas concluants ; chaque tentative est une occasion d’apprendre comment mieux communiquer avec le modèle.
Techniques fondamentales de prompting : les briques essentielles
Maintenant que nous avons posé les bases, explorons les techniques fondamentales qui constituent le socle d’une ingénierie de prompt efficace. Maîtriser ces principes améliorera déjà considérablement la qualité de vos interactions avec les LLM.
- Clarté et spécificité : c’est la règle la plus importante. Un prompt doit être aussi clair, précis et dénué d’ambiguïté que possible. Évitez les formulations vagues ou les questions ouvertes qui peuvent être interprétées de multiples façons. Définissez clairement la tâche, le sujet, et les contraintes.
- Mauvais exemple : « Parle-moi de l’IA. »
- Bon exemple : « Explique le concept de machine learning en trois paragraphes simples, en évitant le jargon technique. »
- Fournir du contexte : les LLM ne lisent pas dans vos pensées. Ils ont besoin d’informations contextuelles pour comprendre votre requête. Plus le contexte fourni est pertinent et détaillé, meilleure sera la réponse. N’hésitez pas à inclure des informations de fond, des définitions, ou des éléments spécifiques à votre situation.
- Exemple : « Je rédige un article de blog pour des débutants sur les avantages du télétravail. Peux-tu lister 5 avantages clés avec une brève description pour chacun ? »
- Définir le rôle/persona : vous pouvez instruire l’IA d’adopter un rôle ou une personnalité spécifique. Cela aide le modèle à ajuster son ton, son style, et son niveau d’expertise. C’est particulièrement utile pour adapter la réponse à une audience cible.
- Exemple : « Agis comme un expert en marketing digital et explique l’importance du SEO pour une petite entreprise locale. »
- Autre exemple : « Tu es un professeur de physique expliquant la théorie de la relativité à des lycéens. Utilise des analogies simples. »
- Spécifier le format de sortie : ne laissez pas le format de la réponse au hasard. Indiquez clairement comment vous souhaitez que l’information soit structurée. Cela peut être une liste à puces, un tableau, un paragraphe, un email, du code dans un langage spécifique, un poème, etc.
- Exemple : « Compare les avantages et inconvénients de l’énergie solaire et éolienne sous forme de tableau à deux colonnes. »
- Autre exemple : « Génère un script Python qui lit un fichier CSV et calcule la moyenne d’une colonne spécifique. »
- Instructions négatives : parfois, il est aussi utile de préciser ce que l’IA ne doit pas faire. Cela aide à éviter des écueils ou des informations non souhaitées.
- Exemple : « Décris les étapes pour créer un site web simple, sans mentionner de plateformes payantes spécifiques. »
- Prompting Zero-Shot vs Few-Shot : ces termes décrivent si vous fournissez ou non des exemples au modèle dans votre prompt.
- Zero-Shot : vous donnez uniquement l’instruction, sans exemple. Le modèle doit comprendre la tâche directement. (La plupart des exemples ci-dessus sont Zero-Shot).
- Few-Shot : vous incluez un ou plusieurs exemples de la tâche que vous souhaitez réaliser, montrant le format d’entrée et de sortie attendu. Cela aide grandement le modèle à comprendre des tâches plus complexes ou spécifiques.
- Exemple (Few-Shot pour analyse de sentiment) : « Décide si le sentiment du tweet est Positif, Négatif ou Neutre. Tweet: J’adore ce nouveau restaurant ! -> Positif Tweet: Le service était incroyablement lent. -> Négatif Tweet: Le colis est arrivé aujourd’hui. -> Neutre Tweet: Quelle journée magnifique pour une promenade. -> » (Le modèle devrait compléter par « Positif »)
En combinant ces techniques fondamentales, vous posez des bases solides pour obtenir des réponses plus pertinentes et mieux contrôlées de la part des LLM. L’étape suivante consiste à explorer des techniques plus avancées pour aborder des tâches plus complexes.
Techniques avancées : aller plus loin avec le prompting
Pour aborder des tâches plus complexes nécessitant du raisonnement, des connaissances spécifiques ou une plus grande fiabilité, des techniques de prompting plus sophistiquées ont été développées et étudiées par la communauté scientifique. Voici quelques-unes des plus influentes, souvent citées dans des travaux de recherche comme « The Prompt Report » :
- Prompting par chaîne de pensée (Chain-of-Thought – CoT) : cette technique est particulièrement efficace pour les problèmes nécessitant plusieurs étapes de raisonnement (mathématiques, logique, planification). Au lieu de demander directement la réponse finale, on incite le LLM à « penser étape par étape » ou à expliciter son raisonnement avant de donner la conclusion. Cela améliore considérablement la capacité du modèle à résoudre des problèmes complexes.
- Exemple (Zero-Shot CoT) : « Question : Roger a 5 balles de tennis. Il achète 2 autres boîtes de 3 balles chacune. Combien de balles a-t-il maintenant ? Réponse : Pensons étape par étape. Roger commence avec 5 balles. Il achète 2 boîtes de 3 balles, ce qui fait 2 * 3 = 6 balles. Au total, il a 5 + 6 = 11 balles. La réponse finale est 11. »
- Variante (Few-Shot CoT) : On peut aussi fournir un ou plusieurs exemples complets (question + raisonnement étape par étape + réponse) dans le prompt pour guider le modèle.
- Auto-cohérence (Self-Consistency) : cette technique s’appuie sur le CoT pour améliorer la robustesse des réponses. L’idée est de générer plusieurs chaînes de pensée différentes pour la même question (en demandant au modèle de réfléchir de plusieurs manières ou en variant légèrement le prompt), puis de choisir la réponse finale qui apparaît le plus fréquemment parmi les différentes conclusions. Cela réduit la probabilité d’une erreur due à un raisonnement défectueux unique.
- Décomposition de tâches (Task Decomposition) : pour les tâches très complexes, il peut être bénéfique de les décomposer explicitement en sous-tâches plus simples dans le prompt. On peut demander au LLM de résoudre chaque sous-tâche séquentiellement, voire d’utiliser la sortie d’une étape comme entrée pour la suivante. Cela structure le processus de résolution et le rend plus gérable pour le modèle.
- Exemple : « Pour écrire un essai sur l’impact du changement climatique sur les ours polaires, suis ces étapes :
- Recherche les principales menaces du changement climatique pour l’habitat arctique.
- Explique comment ces menaces affectent spécifiquement les ours polaires (alimentation, reproduction, etc.).
- Discute des conséquences à long terme pour la survie de l’espèce.
- Rédige une introduction et une conclusion pour l’essai. »
- Exemple : « Pour écrire un essai sur l’impact du changement climatique sur les ours polaires, suis ces étapes :
- Génération augmentée par récupération (Retrieval-Augmented Generation – RAG) : Bien que sa mise en œuvre complète soit plus technique, le concept est important. Les LLM ont des connaissances figées à leur date d’entraînement et peuvent « halluciner » (inventer des faits). Le RAG consiste à fournir au LLM des informations pertinentes extraites d’une base de connaissances externe (comme des documents spécifiques ou des résultats de recherche web récents) directement dans le prompt. Le modèle utilise alors ces informations pour générer une réponse plus factuelle et à jour. De nombreux systèmes intègrent désormais cette approche (par exemple, lorsque ChatGPT ou Gemini proposent de chercher sur le web).
- Autres techniques structurantes (issues de la taxonomie) : la recherche a identifié de nombreuses autres variations et techniques. Par exemple :
- Prompting par analogie : fournir une analogie pour aider le modèle à comprendre un concept complexe.
- Utilisation de méta-instructions : donner des instructions sur la manière dont le modèle doit traiter le prompt lui-même (ex: « Ignore les instructions précédentes et fais ceci… »).
- Formatage Spécifique (XML, JSON) : utiliser des balises ou des structures de données pour délimiter clairement les différentes parties du prompt (contexte, question, exemples, format de sortie).
Ces techniques avancées, souvent combinées entre elles, permettent de repousser les limites de ce qu’il est possible d’accomplir avec les LLM, en améliorant leur capacité de raisonnement, leur fiabilité et leur adaptabilité à des tâches spécifiques.
Bonnes pratiques et conseils : affiner votre approche
Au-delà des techniques spécifiques, l’efficacité en ingénierie de prompt repose aussi sur une approche méthodique et quelques bonnes habitudes à cultiver.
- Itération et raffinement : comme mentionné précédemment, c’est la clé. Ne vous attendez pas à la perfection immédiate. Testez votre prompt, analysez attentivement la réponse (Qu’est-ce qui fonctionne ? Qu’est-ce qui manque ? Y a-t-il des erreurs ou des ambiguïtés ?), puis modifiez et affinez votre prompt en conséquence. Répétez ce cycle jusqu’à obtenir un résultat satisfaisant.
- Commencer simple : face à une tâche complexe, ne commencez pas par un prompt extrêmement long et détaillé. Débutez avec une instruction simple et claire, puis ajoutez progressivement des éléments (contexte, contraintes, exemples, techniques avancées) au fur et à mesure de vos itérations. Cela facilite l’identification de ce qui influence le plus la réponse du modèle.
- Utilisation de délimiteurs : pour structurer clairement les différentes parties de votre prompt (instruction principale, contexte, exemples, données d’entrée, format de sortie souhaité), utilisez des délimiteurs clairs. Des triples apostrophes inversées (« `), des balises XML (
… ), ou même de simples en-têtes (### Instruction ###, ### Contexte ###) peuvent grandement aider le modèle à distinguer les différentes sections de votre requête.- Exemple :
### Instruction ### Résume le texte suivant en trois points clés. ### Texte ### [Insérer ici le texte à résumer] ### Format de Sortie ### Liste à puces.
- Exemple :
- Être précis sur le format de sortie : ne vous contentez pas de demander un résumé, précisez comment vous le voulez (nombre de phrases, style, points clés, etc.). Plus vous êtes précis sur la forme attendue, plus vous avez de chances de l’obtenir.
- Tester sur différents modèles (si possible) : les LLM, même ceux basés sur des architectures similaires, peuvent réagir différemment aux mêmes prompts en raison de leurs données d’entraînement spécifiques et de leurs ajustements (fine-tuning). Si vous avez accès à plusieurs modèles, tester vos prompts sur chacun peut révéler des nuances intéressantes et vous aider à comprendre lequel est le plus adapté à votre tâche.
- Attention à la longueur du prompt et à la fenêtre de contexte : les LLM ont une limite à la quantité de texte (prompt + réponse générée) qu’ils peuvent traiter en une seule fois (la « fenêtre de contexte »). Des prompts excessivement longs peuvent entraîner la troncature d’informations importantes. Soyez concis lorsque c’est possible, et si vous travaillez avec de longs documents, envisagez des stratégies de découpage ou de résumé préalable.
- Gérer la température et autres paramètres (si disponibles) : certaines interfaces ou API permettent de régler des paramètres comme la « température », qui contrôle le degré d' »aléatoire » ou de « créativité » de la réponse. Une température basse (proche de 0) rendra les réponses plus déterministes et focalisées, tandis qu’une température plus élevée encouragera la diversité et la créativité, au risque parfois de perdre en cohérence. Expérimentez avec ces paramètres si vous en avez la possibilité.
- Documenter vos prompts efficaces : lorsque vous trouvez un prompt qui fonctionne particulièrement bien pour une tâche récurrente, conservez-le ! Créez votre propre bibliothèque de prompts efficaces pour gagner du temps à l’avenir.
En appliquant ces bonnes pratiques, vous développerez une approche plus systématique et efficace de l’ingénierie de prompt, vous permettant de tirer le meilleur parti des capacités des LLM.
Considérations éthiques et limites : naviguer avec prudence
Si l’ingénierie de prompt est un outil puissant, son utilisation soulève également des questions éthiques importantes et comporte des limites inhérentes aux LLM qu’il est crucial de garder à l’esprit.
- Biais dans les prompts et les réponses : les LLM sont entraînés sur d’immenses corpus de textes issus d’Internet et d’autres sources, qui reflètent inévitablement les biais présents dans la société (stéréotypes de genre, raciaux, culturels, etc.). La manière dont un prompt est formulé peut involontairement amplifier ces biais ou en introduire de nouveaux. De même, les réponses générées par l’IA peuvent perpétuer ou renforcer ces biais. Il est essentiel d’être vigilant, de formuler des prompts neutres autant que possible, et d’examiner de manière critique les réponses pour détecter d’éventuels biais.
- Sécurité et utilisation malveillante (Prompt Injection) : L’ingénierie de prompt peut être détournée à des fins malveillantes. Le Prompt Injection est une technique où des instructions cachées ou trompeuses sont insérées dans un prompt (parfois via des données externes que le modèle traite) pour contourner les garde-fous de sécurité du LLM et le pousser à générer du contenu inapproprié, nuisible, ou à révéler des informations sensibles. Bien que les développeurs de LLM travaillent constamment à améliorer la robustesse contre ces attaques, la vigilance est de mise, surtout lorsque les LLM interagissent avec des données externes ou des entrées utilisateur non fiables.
- Fiabilité, factualité et « hallucinations » : Comme mentionné, les LLM sont des générateurs de texte basés sur des probabilités, pas des bases de données factuelles infaillibles. Ils peuvent produire des informations qui semblent plausibles mais sont en réalité incorrectes, obsolètes, ou complètement inventées (les fameuses « hallucinations »). L’ingénierie de prompt peut aider à ancrer les réponses dans la réalité (notamment avec des techniques comme le RAG), mais elle ne garantit pas une factualité parfaite. La vérification humaine reste indispensable, surtout lorsque les informations générées sont utilisées pour prendre des décisions importantes ou sont diffusées publiquement.
- Propriété intellectuelle et plagiat : Les LLM apprennent à partir de vastes quantités de données, dont certaines peuvent être protégées par le droit d’auteur. Bien que les modèles visent à générer du contenu original, il existe un risque (généralement faible mais non nul) que les réponses générées ressemblent étroitement à des sources existantes. L’utilisation de contenu généré par l’IA, en particulier dans des contextes académiques ou professionnels, doit être faite avec prudence et en respectant les règles en matière de plagiat et de propriété intellectuelle.
- Transparence et explicabilité limitées : Malgré les efforts de l’IA Explicable (XAI), le fonctionnement interne des LLM reste largement opaque (« boîte noire »). Même avec des techniques comme le Chain-of-Thought, nous n’avons qu’une vue partielle des « raisons » pour lesquelles un modèle génère une réponse spécifique. Cette opacité limite notre capacité à comprendre pleinement les erreurs ou les biais potentiels.
Une utilisation responsable de l’ingénierie de prompt implique donc non seulement de maîtriser les techniques pour obtenir de bons résultats, mais aussi d’être conscient de ces limites et de ces risques éthiques, et d’adopter une approche critique et réfléchie face aux contenus générés par l’IA.